Aujourd’hui, Nicotine World vous propose de découvrir l’interview avec Thomas Ericsson, créateur des sachets de nicotine.
Nicotine World : Bonjour monsieur Ericsson, pouvez-vous vous présenter ?
Thomas Ericsson : Bien sûr, je m’appelle Thomas Ericsson, je suis d’origine suédoise et je suis pharmacien. J’ai obtenu mon diplôme de pharmacien en 78 et j’ai ensuite travaillé pour diverses sociétés pharmaceutiques, notamment ACO Pharma et Helsing Pharma.
Nicotine World : Quel était votre rôle dans ces entreprises ?
Thomas Ericsson : J’étais chargé de la recherche et du développement. De 1985 à 1990, nous avons travaillé sur des sachets de nicotine, des produits du tabac sans combustion, et même ce que l’on pourrait appeler aujourd’hui des cigarettes électroniques, mais avec une pile AA, car à cette époque, nous n’avions pas la technologie pour les batteries comme aujourd’hui.
Nicotine World : Comment vous est venue l’idée du nicotine pouche ?
Thomas Ericsson : Nous savions que le chewing gum Nicorette provoquait certains effets secondaires comme le hoquet et surtout une augmentation de la sécrétion de salive.
Nous avons réalisé que pour réduire ses effets secondaires, il fallait mettre quelque chose sous la lèvre supérieure, car la sécrétion de salive est alors bien moindre. Donc, sous la lèvre, c’était notre approche et nous avons déposé un brevet là-dessus en 1990.
Mais ensuite, en 1990, il y a eu une fusion entre les sociétés pharmaceutiques suédoises et une société détenue à 50 % par l’État suédois et à 50% par Volvo, le constructeur automobile. Dans l’entreprise, il y avait Nicorette mais aussi Svenska Tobaks AB, le géant du tabac suédois, qui était l’ancien monopole.
Notre développement a été stoppé parce que nous n’avions pas le droit de concurrencer la compagnie de tabac suédoise, donc le projet a été abandonné.
« Ce n’est qu’en 1994 que tous les produits à base de nicotine sont devenus OTC »
À cette époque, Nicorette était un médicament sur ordonnance. Il fallait consulter un médecin pour obtenir des chewing-gums à la nicotine. Ce n’est qu’en 1994 que tous les produits à base de nicotine sont devenus OTC (ndlr : OTC pour over-the-counter, désigne un médicament en vente libre), c’est-à-dire sans ordonnance.
Puis en 2004, dix ans plus tard, les produits à base de nicotine ont obtenu la labellisation GSL, ce qui signifie que vous pouviez vendre des produits à base de nicotine comme produit pharmaceutique n’importe où (ndlr : les médicaments sur la liste générale de vente (GSL) sont des produits de santé qui peuvent être vendus librement par n’importe quel détaillant, sans aucune formation en pharmacie). Il n’y avait plus -aucune restriction. Nicorette était un produit anti-tabac, une thérapie qui nécessitait l’intervention d’une infirmière ou d’un médecin qualifié, qui puisse vous conseiller sur la manière d’arrêter de fumer. Mais en 2004, tout était disponible grâce au GSL. La notion de thérapie n’existait plus. Nous avons donc décidé de nous lancer totalement dans les sachets de nicotine.
Nicotine World : Quel a été le processus de développement des nicotine pouches ?
Thomas Ericsson : Pour faire des sachets de nicotine, c’est assez simple. Vous devez fabriquer un comprimé de nicotine ou quelque chose du genre et le mettre dans une pochette. Pas besoin d’être Einstein. Il n’y a pas de défi technologique là-dedans, c’était principalement un défi juridique.
Il nous a fallu 5 ans pour faire des sachets de nicotine un véritable produit. Puis en 2002, nous avons fait des “white pouches”. Mais quand nous en sommes arrivés au développement pharmaceutique entre 2009 et 2012, cela nous a pris un certain temps, car il y a beaucoup de tests à faire : tests de stabilité, tests d’équivalence etc. Par exemple, le test d’équivalence prend neuf mois et pendant ce temps on ne peut rien faire d’autre.
Nicotine World : Pouvez-vous nous en dire plus sur la nicotine contenue dans les sachets ?
Thomas Ericsson : On extrait la nicotine du tabac. Toute la nicotine vient traditionnellement de l’Inde. Il y a 3 ou 4 grandes sociétés d’extraction dans le monde et chacune d’elle produit entre 300 et 400 tonnes de nicotine par an. C’est beaucoup, mais ce n’est rien comparé aux quantités de cigarettes produites dans le monde.
En 1905, un scientifique français a réussi à synthétiser la nicotine, mais c’était très compliqué. Aujourd’hui, grâce à la technologie, c’est possible, mais cela coûte deux fois plus cher que de l’extraire du tabac. C’est pour cela que toute la nicotine présente dans tous les produits, à l’exception de certaines grandes marques aux États-Unis, provient de l’extraction.
Nicotine World : Avez-vous rencontré certaines résistances au cours de votre projet sur les nicotine pouches ?
Thomas Ericsson : Bien sûr. Entre 2000 et 2002, nous avons travaillé sur les sachets de nicotine, puis nous les avons présentés à Swedish Match. C’est là que la bataille juridique a commencé : qu’est-ce qu’un sachet de nicotine ? Est-ce un produit pharmaceutique ? Ou est-ce un produit du tabac ?
« Nous sommes arrivés à la conclusion que le sachet de nicotine n’était pas un produit pharmaceutique. »
En 2005, nous avons essayé de fabriquer des sachets de nicotine blancs. Mais nous avons à nouveau rencontré des problèmes juridiques avec les autorités. Nous nous sommes battus contre eux et en 2007, nous avons lancé les premiers sachets de nicotine K2 sur le marché suédois et nous avons dû les retirer du marché en raison des implications juridiques avec l’Agence nationale du médicament suédoise.
Nous avions tous les documents à ce sujet, mais lorsque vous vous engagez dans un conflit juridique, vous devez être sûr que vous pouvez gagner. Personnellement, j’étais prêt à aller au tribunal, mais les autres partenaires ne voulaient pas, même si nous avions raison à 100 % et que nous avions des documents à ce sujet.
Nicotine World : Comment avez-vous finalement réussi à lancer votre produit ?
Thomas Ericsson : En août 2009, le président Obama a signé le Family Prevention Act (ndlr : le Family Smoking Prevention and Tobacco Control Act est une loi fédérale des États-Unis qui a été promulguée par le président Barack. Obama le 22 juin 2009 et qui donne à la Food and Drug Administration le pouvoir de réglementer l’industrie du tabac.).
Dans le même temps, la société Niconovum (ndlr : la société du Dr Karl Olof Fagerström), propriétaire de la marque Zonnic, est arrivée sur le marché en décembre 2008 et c’était une nouveauté. Il a été établi que les sachets étaient un produit pharmaceutique en Suède.
J’étais assez frustré du fait que nous n’ayons pas réussi à obtenir cette reconnaissance pour nos nicotine pouches, parce que je me disais : “le vieux tabac à priser traditionnel américain est destiné aux agriculteurs, le snus est pour les camionneurs et Nicorette pour les malades. Mais les nicotine pouches que nous faisons, c’était pour l’homme contemporain”. Nous proposions quelque chose de totalement différent. Nous venions de l’industrie pharmaceutique et nous nous étions réunis pour créer un très bon produit pharmaceutique.
Donc, nous avons lu le Family Prevention Act et en février 2012, nous étions prêts pour nous lancer sur le marché américain. Nous avons donc postulé auprès du service américain de sécurité intérieure et de contrôle des frontières douanières. Nous avons demandé une classification du produit et nous avons obtenu le code douanier légal et, grâce à cela, nous avons commencé à exporter vers les États-Unis en septembre 2012. Ça n’a pas été un travail facile, car nous avons dépensé beaucoup d’argent pour l’assistance d’avocats. Ainsi, aux États-Unis, nous avons lancé Shiro Sweden qui est ensuite devenu On !
Même si nous avons eu du mal à faire circuler nos produits aux États-Unis aux débuts, cela s’est plutôt bien passé. Nous étions une petite entreprise de 15 salariés, qui vendait principalement par internet, avec quelques distributeurs sur place.
Puis le marché américain a explosé. Nous avons vendu 50 % du brevet à Booger en Suisse et Swedish Match détenait les 50 % restants.
Nicotine World : Pourquoi avez-vous décidé de vous lancer dans un tel projet ?
Thomas Ericsson : Nous cherchions à créer un produit sans nitrosamines, car c’est un composé chimique qui peut provoquer des cancers.
Nous souhaitions inciter les consommateurs à faire autre chose que fumer. Aujourd’hui, grâce aux différents produits que nous avons lancés, les personnes consomment de la nicotine d’une autre manière. Bien sûr, on peut se poser la question si c’est bien ou mauvais, par exemple, en Suède, chez les jeunes femmes de 18 à 35 ans, le tabagisme avait augmenté il y a quelques années, avant de diminuer. La raison n’est pas qu’elles ont soudainement consommé moins de nicotine, mais elles utilisaient d’autres produits à base de nicotine, notamment des nicotine pouches, plutôt que la cigarette. Donc, en ce sens, c’est très bien, mais on peut aussi considérer que cela créer une certaine dépendance à la nicotine et c’est là l’inconvénient.
« Le but derrière tout ça c’est surtout d’amener les grandes compagnies du tabac à évoluer. »
C’est la même chose avec Volkswagen et les voitures diesel : les compagnies automobiles ne passeront pas à l’électrique si elles n’y sont pas contraintes ou si leurs concurrents ne le font pas. C’est en ce sens que la concurrence est très importante. Ainsi, avec les sachets de nicotine, nous avons réalisé des produits pour Philip Morris International, Swedish Match, Japanese Tobacco, et nous aidons d’autres grandes sociétés de tabac à créer de meilleurs produits.
D’ailleurs, Philip Morris International a récemment déclaré dans un journal suédois, qu’en 2025, ils auraient réduit de manière significative les incidents liés au tabagisme, grâce à des produits plus sains.
Nicotine World : Quelle place voyez-vous pour les sachets de nicotine dans le futur ?
Thomas Ericsson : Les sachets de nicotine sont relativement nouveau sur le marché. Pour beaucoup de personnes, c’est très bizarre, car elles n’ont pas l’habitude de mettre quelque chose sous leur lèvre supérieure. Nous le savons parce que nous avons fait des études consommateurs et il apparaît que, dans certaines villes comme Paris, les gens n’étaient pas habitués à ça. À Los Angeles par exemple, cela ne posait pas de problème, car ils utilisaient déjà du tabac à chiquer, mais ce n’est pas le cas partout. C’est un inconvénient des sachets de nicotine. C’est pour cela que nous réfléchissons à d’autres produits à base de nicotine, qui ne sont pas des sachets. Cela viendra dans quelques années. Par exemple, Nicoccino a récemment sorti des bandelettes qu’il faut mettre dans la bouche et qui se dissolvent simplement.
Mais cela prend du temps de développer un marché. Pour que les sachets de nicotine deviennent un produit majeur, il faut que les grandes compagnies de tabac soient présentes sur le marché. Elles font déjà un très bon travail, je ne m’attendais pas à un tel succès. Je veux dire, cela n’arrive qu’une fois dans une vie de créer un produit révolutionnaire et pourtant cela m’est arrivé deux fois : une fois avec Nicorette et une fois avec les sachets de nicotine.
« Aujourd’hui, le gouvernement suédois est favorable au snus et aux sachets de nicotine, car le résultat est qu’il y a moins de fumeurs en Suède. »
Nous serons même bientôt un pays sans fumée. Si vous regardez qui fume aujourd’hui en Suède, ce sont des gens originaires d’autres pays. Les hommes suédois ne fument pas, ils utilisent du snus.
Bien sûr, nous avons essayé d’obtenir de l’aide de la part des institutions suédoises, mais il y a toujours ce problème lié à la dépendance, qui cause un problème d’éthique chez les politiciens. Mais je pense qu’aujourd’hui, la majorité a changé d’avis et on peut dire que 80 % d’entre eux sont favorables aux snus et aux sachets blancs, même s’il y a toujours des avis négatifs pour tout.
Nicotine World : Justement, comment répondez-vous aux inquiétudes du gouvernement à propos des problèmes sanitaires des nicotine pouches?
Thomas Ericsson : Les niveaux de nicotine doivent être contrôlés par le gouvernement, grâce aux taxes. Il n’y a que ça pour réduire la dépendance à la nicotine : la taxe. Je veux dire, nous avons différentes taxes sur l’alcool en Suède. Vous payez plus de taxes pour les boissons alcoolisées que pour le vin, et encore moins pour la bière, en fonction de la teneur en alcool. C’est le seul moyen de contrôle et c’est ce que j’essaie de faire de mon côté.
Parce que par exemple, en Russie, il n’y a aucun contrôle et il y a tellement de nicotine dans certains produits que des jeunes en sont morts.
J’aimerais que les produits contenant 5 à 6 milligrammes ne soient pas taxés, alors que ceux contenant plus de 10 milligrammes, devraient être fortement taxés. Et vous pourriez en avoir plus après ça.
Lorsque nous avons développé la marque On! aux États-Unis, nous avons souhaité qu’il y ait maximum 6 milligrammes de nicotine par sachet.
« Ce qui est important de comprendre c’est la manière dont est libérée la nicotine. »
Par exemple, un patch pour arrêter de fumer contient 14 milligrammes de nicotine, mais il ne libère qu’un seul milligramme par heure, donc vous pouvez l’utiliser pendant longtemps. Cela varie selon les individus et de leur dépendance à la nicotine.
En moyenne, une cigarette contient 15 milligrammes de nicotine. Mais lorsque vous allumez la cigarette, une grande quantité de celle-ci se retrouve dans la fumée, elle s’évapore tout simplement. Il existe une machine à tester les cigarettes, qui fume avec une pression constante, et permet de mesurer la nicotine libérée. C’est ce qui permet d’indiquer la dose de nicotine sur les paquets. Donc sur les paquets, ils disent 1 milligramme, mais il ne s’agit pas de la dose de nicotine contenue de la cigarette, il s’agit de ce que vous allez consommer sur les 15 milligrammes.
En comparaison, si vous prenez la marque la plus courante de snus suédois, un snus contient 8,4 milligrammes de nicotine, mais ce qui en est libéré se situe entre 2,9 et 4 milligrammes. Donc, moins de 50 % du contenu de la même manière, si vous prenez un chewing-gum à la nicotine, environ 60 % de la teneur en nicotine est libérée.
Nicotine World : Comme vous l’avez dit précédemment, le sachet de nicotine est un produit relativement nouveau sur le marché, il y a encore des confusions ou des conceptions erronées, quelles sont celles que vous retrouvez le plus souvent ?
Thomas Ericsson : Ce que j’ai entendu pour la plupart, ce sont des choses plutôt positives. Je n’ai pas entendu beaucoup de choses négatives. Le mieux, c’est de rencontrer les consommateurs. Lors d’un vol Copenhague-Chicago, mon voisin à côté de moi m’a expliqué qu’il avait arrêté de fumer grâce à Nicorette. Lorsque nous avons atterri, il est venu vers moi avec sa femme et ils m’ont dit : « Vous nous avez sauvé la vie ». Cela arrive assez souvent. Les gens sont reconnaissants d’avoir arrêté de fumer, surtout avec Nicorette.
Les retours négatifs concernent davantage la teneur en nicotine. Les gens deviennent de plus en plus dépendants de la nicotine. Dans le cas du snus, une entreprise commence à augmenter considérablement le niveau en Norvège et c’est un problème, car on s’habitue à la nicotine.
De plus, il y a un véritable sujet à propos des effets secondaires de la nicotine, tels que les problèmes liés à la tension artérielle, au cœur et également les maladies liées au diabète. Ce n’est pas facile de gérer cette situation, c’est pourquoi la fiscalité reste la meilleure solution.