Semaine nationale contre le cancer : Traiter le tabagisme comme une addiction – Interview avec le Docteur Imane Kendili

Semaine nationale contre le cancer : Traiter le tabagisme comme une addiction – Interview avec le Docteur Imane Kendili

Dans cette interview, nous avons le plaisir d’échanger avec le Dr Imane Kendili, psychiatre spécialisée en addictologie et cheffe de l’unité Addictologie et Pathologies Associées à la Clinique Andalouss. Elle nous livre son point de vue sur la réduction des risques liés au tabac et ses propositions pour améliorer la santé publique à l’occasion de la semaine contre le cancer.

Pouvez-vous vous présenter ?

Je suis le Dr Imane Kendili, ancienne présidente de l’association MAPA (Médecine Addictive et Pathologies Associées). Actuellement, je préside l’association African Global Health. Mon domaine d’expertise couvre toutes les formes d’addictions. Cela inclut le tabac, l’alcool, les substances psychoactives et les addictions comportementales. En parallèle, ma pratique clinique me conduit à traiter ces dépendances au quotidien.

Comment l’approche addictologique peut-elle mieux contribuer à la prévention du cancer lié au tabac ?

Le tabagisme est l’un des principaux facteurs de risque du cancer du poumon. Son incidence est en constante augmentation. En 2022, 2,5 millions de nouveaux cas ont été recensés dans le monde, soit 12,4 % des diagnostics de cancers. Au Maroc, près de trois quarts des cancers du poumon sont directement liés au tabac. Cela souligne l’urgence d’une intervention efficace et adaptée.

L’addictologie va au-delà des campagnes de prévention classiques. Elle traite le tabagisme comme une addiction et non comme un simple choix personnel. Cette approche repose sur plusieurs leviers essentiels :

  • Un accompagnement individualisé : Chaque fumeur possède un profil de dépendance unique. Les thérapies comportementales et cognitives aident à identifier les déclencheurs psychologiques du tabagisme. Elles permettent aussi de développer des stratégies adaptées pour réduire la consommation de nicotine.
  • Un soutien psychologique renforcé : Le tabac est souvent un moyen de gestion du stress, de l’anxiété ou d’autres troubles émotionnels. Une prise en charge psychologique permet d’accompagner le sevrage en s’attaquant aux causes profondes de la dépendance.
  • Des alternatives pharmacologiques efficaces : Les substituts nicotiniques (patchs, gommes, sprays) ainsi que des médicaments comme la varénicline ou le bupropion sont scientifiquement validés. Ils augmentent considérablement les chances de succès du sevrage.
  • L’intégration des produits nicotiniques à risque réduit : Le tabac fumé libère des milliers de substances toxiques, dont de nombreux cancérogènes. En revanche, les produits sans combustion, comme les cigarettes électroniques ou le tabac chauffé, réduisent cette exposition. Ils constituent une alternative pour les fumeurs qui ne parviennent pas à arrêter brutalement.

Plutôt que d’imposer un sevrage strict, l’addictologie propose une approche progressive et réaliste. Encourager ces solutions dans les politiques de santé permettrait de réduire la consommation de tabac fumé. Cela aurait aussi un impact direct sur la diminution des cancers liés au tabac.

Dans le cadre de la lutte contre le cancer, pensez-vous que les produits nicotiniques sans combustion devraient être intégrés plus activement dans les politiques de prévention ?

Les produits nicotiniques sans combustion, comme les cigarettes électroniques ou le tabac chauffé, représentent une alternative au tabac fumé. Contrairement aux cigarettes classiques, ces dispositifs réduisent l’inhalation de substances toxiques issues de la combustion. Une étude de l’Institut Pasteur de Lille a montré que la vapeur des cigarettes électroniques contient jusqu’à 99,8 % moins de composés toxiques que la fumée de cigarette. Le tabac chauffé diminue également de manière significative l’exposition aux substances cancérigènes.

Cependant, leur intégration dans la réduction des risques doit être encadrée. Ces produits doivent rester un outil pour les fumeurs adultes souhaitant réduire les méfaits du tabac. Ils ne doivent pas devenir une porte d’entrée vers la dépendance à la nicotine pour les jeunes. La réglementation doit donc s’assurer que leur promotion cible uniquement les fumeurs et non les non-fumeurs.

Les pays ayant intégré ces produits dans leurs stratégies de réduction des risques ont enregistré une baisse du nombre de fumeurs de cigarettes classiques. Encourager ces alternatives, tout en contrôlant leur commercialisation, permettrait d’accélérer la transition vers une société moins dépendante du tabac fumé. Cela réduirait aussi l’incidence des cancers associés.

Certains experts suggèrent que nous devrions traiter la dépendance à la nicotine comme les autres addictions, en proposant des alternatives durables plutôt qu’un sevrage brutal. Partagez-vous cette vision ?

Absolument. La dépendance à la nicotine est une addiction à part entière qui nécessite une prise en charge progressive et adaptée. Un sevrage brutal entraîne souvent des symptômes de manque sévères. Cela inclut l’anxiété, l’irritabilité et des troubles du sommeil, ce qui augmente le risque de rechute.

Les alternatives durables, comme les substituts nicotiniques (patchs, gommes, sprays) et les produits à risque réduit (cigarettes électroniques, tabac chauffé), facilitent la transition. Elles réduisent progressivement la consommation de nicotine et les habitudes comportementales liées au tabagisme.

Les approches combinées – pharmacologiques et psychologiques – sont les plus efficaces. Les thérapies comportementales et cognitives aident les fumeurs à identifier leurs déclencheurs et à développer des stratégies adaptées. Les substituts, eux, permettent de diminuer progressivement la dépendance physique.

Cette stratégie a fait ses preuves. Les fumeurs bénéficiant d’un accompagnement structuré et d’une alternative nicotinique adaptée réussissent mieux leur sevrage que ceux qui arrêtent seuls et brutalement.

Au Maroc, l’accès aux substituts nicotiniques reste limité malgré le lien avéré entre tabac et cancer. Leur intégration plus large pourrait-elle réduire ce risque ? Quels sont les principaux freins à leur adoption ?

L’accès limité aux substituts nicotiniques est un obstacle majeur dans la lutte contre le tabagisme au Maroc. Pourtant, leur adoption plus large pourrait réduire le risque de cancer lié au tabac.

Les principaux freins sont :

  • Le coût élevé des substituts nicotiniques : Ces traitements sont onéreux pour une grande partie de la population marocaine et ne bénéficient d’aucun remboursement. Une taxation supplémentaire pourrait aggraver la situation. Ces produits devraient être considérés comme des outils de santé publique et accessibles au plus grand nombre.
  • Le manque d’information et de sensibilisation : De nombreux fumeurs, et même certains professionnels de santé, méconnaissent les avantages des substituts. Beaucoup continuent d’associer la nicotine aux risques de cancer. Pourtant, c’est la combustion du tabac qui est en cause. Une meilleure communication est essentielle pour corriger cette perception erronée.
  • Des politiques de santé encore insuffisamment tournées vers la réduction des risques : Plutôt que de se limiter aux interdictions et campagnes de sensibilisation, il serait pertinent d’adopter une approche proactive. Intégrer pleinement les substituts nicotiniques et les produits sans combustion dans les dispositifs d’aide au sevrage permettrait d’agir plus efficacement.

Faciliter l’accès à ces alternatives permettrait de réduire la consommation de tabac fumé et d’avoir un impact direct sur la diminution des cancers du poumon. Les pays ayant adopté cette approche ont observé une baisse significative du tabagisme et des pathologies associées. Il est temps d’intégrer ces solutions dans les stratégies de santé publique au Maroc. Offrir aux fumeurs une véritable opportunité de sortir de leur dépendance, sans les contraindre à un arrêt brutal, est une nécessité.

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