Dans cette interview, nous retrouvons David Sweanor, Président du Comité consultatif du Centre de droit, de Politique et d’Éthique de la Santé à l’Université d’Ottawa. Sweanor a joué un rôle déterminant dans la formation des stratégies mondiales contre l’usage de la cigarette et mène depuis plus de quatre décennies un travail impactant dans la lutte contre le tabagisme.
Découvrez avec nous ses perspectives sur la nouvelle législation en Colombie-Britannique restreignant la vente des sachets de nicotine aux pharmacies.
Que pensez-vous de la récente loi de la Colombie-Britannique qui restreint la vente de sachets de nicotine aux pharmacies ?
C’est l’un des nombreux exemples de politiques qui protègent le secteur de la cigarette et perpétuent l’épidémie de maladies causées par la cigarette parce qu’ils ne voient manifestement que les risques potentiels plutôt que les opportunités offertes par la disponibilité d’alternatives à faible risque.
Cela va totalement à l’encontre d’une analyse politique rationnelle qui prend en compte les risques et les avantages et cherche à obtenir le plus grand bénéfice possible pour la santé publique, conformément aux principes d’une démocratie libérale.
Dans ce cas, au lieu de considérer le tabagisme comme une urgence de santé publique, le gouvernement agit comme si une alternative à très faible risque constituait en quelque sorte la menace. Il ignore ainsi complètement les preuves de l’impact spectaculaire de ces produits sur la réduction du tabagisme en Islande, en Suède, aux États-Unis et ailleurs.
Les taux de tabagisme les plus bas et les taux les plus significatifs de diminution du tabagisme au cours des dernières années se trouvent dans les pays où des alternatives viables et non combustibles sont facilement accessibles.
Rendre plus difficile l’accès à des produits plus sûrs et maintenir les consommateurs mal informés sur les risques relatifs est une faute professionnelle en matière de santé publique. C’est comme si l’on rendait l’accès aux analgésiques légitimes beaucoup plus difficile et que l’on donnait des informations erronées sur les risques relatifs, tout en autorisant la vente de fentanyl dans les épiceries de quartier.
Selon vous, quel sera l’impact de ce règlement sur les consommateurs adultes à la recherche d’alternatives pour arrêter de fumer ?
Cela envoie le message que les sachets de nicotine sont plus dangereux que les cigarettes, beaucoup plus faciles d’accès. En augmentant les coûts de transaction relatifs pour obtenir une alternative plus sûre, les cigarettes conservent un avantage sur le marché.
Nous savons depuis un demi-siècle que c’est l’inhalation de la fumée, et non l’utilisation de la nicotine, qui est à l’origine des huit millions de décès annuels dus à la consommation de cigarettes dans le monde. Nous savons également depuis longtemps qu’une approche de la nicotine ou d’autres substances psychoactives largement utilisées fondée sur l’abstinence est à la fois inefficace et contraire à l’éthique.
Des réglementations de ce type entraîneront plus de décès, aussi certainement qu’une réglementation imposant à tous les conducteurs de consommer de l’alcool.
Quels sont les avantages ou les inconvénients potentiels pour la santé publique d’une distribution des sachets de nicotine uniquement en pharmacie, notamment en termes d’accessibilité, de contrôle de la qualité et de reconnaissance d’une alternative efficace ?
Les pharmaciens se montrent peu enthousiastes à l’idée de s’informer sur la réduction des risques liés au tabac et de donner aux fumeurs de cigarettes les moyens de passer à des produits non combustibles. Il n’y a pas non plus de signe d’une campagne d’éducation de masse sur les risques relatifs ou d’incitations significatives pour les fumeurs de cigarettes à accéder à des alternatives via les pharmacies, telles que des différences de prix significatives.
Comment pensez-vous que la dynamique concurrentielle entre les cigarettes traditionnelles et les produits à faible teneur en nicotine évoluera dans le cadre de cette nouvelle réglementation ?
Les cigarettes bénéficient d’un nouvel avantage sur le marché et d’un nouveau message implicite selon lequel elles sont moins dangereuses que des alternatives beaucoup plus sûres. Les enquêtes montrent que le public est déjà très mal informé sur les risques relatifs des produits à base de nicotine et cette mesure perpétue cette désinformation qui, à son tour, entraînera invariablement des pertes extraordinaires en termes de santé et de vie.
Selon vous, quelles autres approches réglementaires permettraient de mieux concilier la protection des mineurs et le contrôle de la qualité tout en favorisant l’accès des adultes à des produits à faible risque ?
L’argument concernant les jeunes n’est qu’un slogan visant à susciter une réaction émotionnelle au lieu d’une analyse politique rationnelle. Ceux qui le défendent sont soit malhonnêtes, soit ignorants. Une analyse rationnelle prendrait en compte le coût énorme pour les fumeurs de cigarettes actuels de limiter l’accès à des alternatives à très faible risque. Après tout, ce sont eux qui meurent en grand nombre. Elle pourrait ensuite examiner les risques globaux pour les jeunes sur la base d’une analyse rationnelle des risques et des avantages. Une telle analyse prendrait en compte le coût pour les jeunes d’être réorientés vers la cigarette (le tabagisme chez les jeunes a chuté là où des alternatives viables à la nicotine sont accessibles) et l’impact du fait que des adultes importants dans leur vie sont tombés malades, ou sont morts, à cause du tabagisme. La perte d’adultes importants ou l’apparition de maladies chroniques chez ces adultes ont un impact délétère avéré sur les jeunes. Il y a ensuite la question de l’exposition à la fumée secondaire due au tabagisme passif des parents et les difficultés économiques des ménages causées par la consommation continue de cigarettes (la plupart des fumeurs sont financièrement désavantagés et les cigarettes sont très lourdement taxées).
Les politiques qui utilisent des mesures coercitives, telles que des avertissements fondés sur la peur et des taxes élevées, pour soi-disant inciter les gens à arrêter de fumer, tout en restreignant l’accès aux moyens de faciliter le sevrage, ne reposent sur aucune base de santé publique. C’est comme une politique qui exigerait que les bâtiments soient équipés d’alarmes incendie très bruyantes tout en imposant beaucoup moins d’issues de secours.